planche publiée le 07 novembre 2023

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Table des matières

Une recherche participative

1Dresser le portrait d’un territoire, décrire ses usages, ses formes, parait aujourd’hui impensable sans faire appel à ses habitant·e·s. Si le partage de leurs récits du quotidien est important pour éclairer les réalités locales (Paturel et Simon, 2011), les publics jeunes en demeurent toutefois éloignés. Enfants et adolescent·e·s entretiennent pourtant un rapport subjectif à l’espace (Depeau, 2003) et sont sensibles à ses transformations (Danic et al., 2010). Comment créer, alors, un cadre leur permettant d’exprimer leurs expériences sensibles et subjectives du territoire ? Comment produire des savoirs – avec et par des enfants – plus particulièrement sur la ville et l’urbain ?

2Pour répondre à ces questions, un projet d’immersion sur le terrain, au plus proche de l’espace de la rue et ses (jeunes) habitant·e·s, a été initié en février 2023 dans le cadre d’une recherche intitulée « Villejean P(A)LACE  »1. Cette recherche a un double enjeu : (1) celui d’interroger le rôle des espaces publics dans la socialisation des enfants, et (2) celui de mesurer leur capacité à favoriser ou non un bien-être, une autonomie, mais aussi à mobiliser et mettre en commun des ressources. En proposant à de jeunes enfants une initiation à l’enquête ethnologique, il est en fait question de révéler leurs imaginaires, de (leur permettre de) raconter leur quartier, la manière dont ils le vivent et l’occupent par tous les temps – en semaine comme en week-end, après des sorties de classe pluvieuses comme ensoleillées.

Villejean par-delà la Dalle Kennedy : en quête des espaces « périphériques » du quartier

3Ces formes d’occupation ont été étudiées sur des espaces du quartier que l’on pourrait qualifier de « périphériques ». Villejean, situé au nord-ouest de Rennes, est généralement mentionné au seul prisme de l’espace de la Dalle Kennedy, une place qui rayonne autant qu’elle peut « éblouir » (sous-entendu, placer au second plan ses secteurs avoisinants). Or, à l’extrémité ouest du quartier, « à la périphérie de la périphérie », le secteur Guyenne fait office de cas à part (figure 1).

Figure 1 - Localisation du secteur d’enquête

Sources : Rennes Métropole, Kermap, IGN BDTopo, 2023

Sur cette carte de localisation figure une partie du quartier Villejean, de la rocade (à l'ouest) au campus de Villejean (à l’est), qui réunit Université Rennes 2 et Université de Rennes. Des bâtiments administratifs et de services encadrent le quartier, au nord (centre de secours, campus de la Harpe) comme au sud (DDTM, DREAL, Dir Nord-Ouest). La dalle Kennedy, accessible par une station de métro du même nom (et ici mise en évidence par un aplat de couleur grise) est un espace public central du quartier. Ce caractère est renforcé par son architecture – la dalle est surélevée par rapport au reste du quartier – et par la morphologie de ses bâtiments. Le secteur Guyenne (qui correspond au périmètre de l’enquête, affiché en jaune) est principalement résidentiel. Les principaux équipements de transport (les stations de métro), de commerce et de loisirs (piscine, complexes sportifs) sont plutôt situés à l’est, à une quinzaine de minutes à pieds de Guyenne.

4Le secteur Guyenne est le terrain d’expérimentation privilégié des pédagogues du Groupe Rennais de Pédagogie et d’Action Sociale (GRPAS)2, qui font le constat d’un réel besoin de présence sociale, notamment en direction des enfants âgés de 6 à 11 ans. Après plusieurs mois d’observation participante, ce périmètre ressort comme un petit village où, à défaut de jardins personnels, chaque parc, rue, place, parking, trottoir ou porche d’immeuble peut être investi et occupé par de nombreux enfants (photos 1, 2 et 3).

Guyenne, un petit village

Photo 1 - Parc, vendredi 23 juin 2023. Photo 2 - Avenue, mercredi 5 avril 2023. Photo 3 - Rue, lundi 24 avril 2023.

Photos : GRPAS Villejean - CC-BY-NC-ND 4.0

De la collecte des imaginaires au partage des savoirs

5L’immersion, la disponibilité et la présence récurrente des pédagogues dans le quartier (aux sorties d’écoles, dans les rues ou les espaces de sociabilités enfantines, proche des lieux de passage ou encore devant chez eux et aussi aux domiciles familiaux) permettent de développer au fil des mois des liens de confiance avec les enfants et leurs familles. Progressivement, et en parallèle d’activités pédagogiques qui mêlent explorations, découvertes et rencontres, les enfants s’habituent à la présence et à la prise en main de différents outils de captations (enregistreurs sonores, appareils photo, carnets d’observation). Une forme ludique d’initiation à l’enquête ethnologique, à leur hauteur et dont ils sont pleinement acteurs, se met en place (photos 5, 6 et 7).

Quand les enfants s’initient à l’enquête ethnologique

Photo 4 - Découverte du matériel d’enregistrement sonore, parc de la toile, mercredi 15 février 2023. Photo 5 - Lecture du plan du campus Villejean, Université Rennes 2, jeudi 20 avril 2023. Photo 6 - Prise de notes sur les carnets d’observation, Université Rennes 2, jeudi 20 avril 2023.

Photos : GRPAS Villejean - CC-BY-NC-ND 4.0

6Avec les enregistreurs, les enfants s’écoutent d’abord : ils entendent différemment leur propre voix, par le retour du son via les écouteurs branchés au dispositif, mais écoutent aussi celle des autres (de leurs ami·e·s, des passant·e·s et des habitant·e·s interrogées au hasard des rencontres dans le quartier). Ils prennent progressivement conscience des bruits environnants, et s’amusent ainsi à capturer des ambiances : celles de la nature (du vent et des oiseaux, principalement) et celles liées à des activités (le bruit des voitures, ou celui d’autres enfants qui jouent au loin). En explorant le quartier, et en allant à la découverte d’espaces jusqu’alors méconnus (comme l’Université Rennes 2, par exemple), ils apprennent aussi à se repérer, grâce à la lecture de plans et de cartes. Ces espaces, ils les occupent temporairement et, s’y occupent aussi, en menant l’enquête3.

7Toutes ces données collectées au fil des mois (les notes d’observation, les audios et les photographies) ont ensuite été agrégées, mises en commun, pour former un seul et même corpus : ce sont les matériaux de notre recherche. De l’intuition de raconter son quartier, pour se raconter aussi un peu à travers lui, apparaît alors un nouvel enjeu : celui de cartographier les imaginaires au sein de ces espaces vécus (Bailleul et Feildel, 2011), sous une forme artistique. La carte produite est présentée dans une planche à suivre.

Tristan Deplus, Marie-Anaïs Le breton et Hélène Bailleul, 2023 : « « Villejean P(A)LACE » : une recherche-action avec de jeunes habitant·e·s (1/2) », in B. Bisson, B. Mericskay, O. David, A. Lepetit & V. Deborde Atlas social de la métropole rennaise [En ligne], eISSN : 2999-2923, mis à jour le : 12/11/2023, URL : https://atlas-social-de-rennes.fr:443/index.php?id=1010, DOI : https://doi.org/10.48649/asdr.1010.