Une nouvelle carte scolaire en 2024 : une mesure en faveur de la mixité sociale ?
par Alexandra Filhon

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La carte scolaire, instrument de répartition territoriale des élèves dans le secondaire fait l’objet de controverses régulières. Pour certain·es, elle ne fait que renforcer les inégalités sociales et la ségrégation spatiale tandis que d’autres y voient un levier pour favoriser la mixité sociale. Cette planche propose une analyse de la refonte en cours de la carte scolaire de la ville de Rennes par le prisme de l’analyse des indices de position sociale des écoles et des collèges publics.
1L’école participe de longue date à la reproduction des inégalités sociales entre les familles, inégalités qui prennent forme à partir des ressources économiques et culturelles de celles-ci mais aussi à partir des lieux de vie. L’affectation dans un collège dépend du lieu de résidence des parents, la collectivité territoriale découpant le territoire rennais en différentes zones de recrutement. Il s’agit en cela de sectoriser les flux d’élèves en construisant une « carte scolaire » qui résulte d’un processus de planification de l’éducation et vise avant tout à répartir au mieux spatialement la population. Mais, face à la hiérarchisation croissante des établissements en fonction de leur localisation et des publics accueillis, quelles possibilités s’offrent aux élus ? Comment comprendre les choix des familles ?
Des effectifs croissants d’élèves et des inégalités persistantes entre collèges rennais
2En Ille-et-Vilaine, on recense près de 58 000 collégiennes et collégiens en 2024 répartis dans 110 établissements dont 62 publics et 47 privés. À Rennes, cette population s’élève à plus de 10 000 répartie au sein de 19 établissements, dont 12 sont des collèges publics et 7 sont privés.
3La refonte de la carte scolaire, revue pour la rentrée scolaire 2024, a été débattue au printemps 2023 à partir d’une rapide consultation d’enseignants, de parents mais aussi en établissant un état des lieux de la situation actuelle. Certes, l’objectif consiste à réduire les inégalités sociales entre les établissements du centre-ville qui accueillent des enfants issus majoritairement des milieux favorisés et ceux de la périphérie de la ville comme Les Hautes Ourmes, Les Chalais ou Rosa Parks implantés dans des quartiers plus populaires (figure 1). Mais de façon plus pragmatique, l’enjeu est aussi de faire face à la hausse des effectifs d’élèves scolarisés, et cela toujours dans une perspective de moindre coût.
Figure 1 : Composition sociale des 12 collèges publics de Rennes en 2022
4Pour mieux quantifier la mixité sociale des établissements scolaires, le Ministère de l’Éducation nationale a remplacé en 2016 l’indicateur de professions et catégories sociales (PCS) par l’indice de position sociale (IPS) qui prend en considération plus largement les caractéristiques du milieu familial (diplôme des parents, revenus, pratiques culturelles, conditions de logement, etc). Ainsi, à Rennes en 2022, l’IPS moyen des 12 collèges publics s’élève à 100 avec un minimum de 74 au collège Rosa Parks et un maximum de 134 au collège Les Ormeaux. Dans l’enseignement privé, la moyenne atteint 130 et l’écart est beaucoup plus resserré allant de 95 à 140 (figures 2 et 3). Ces chiffres révèlent ainsi en quoi les collèges privés participent à la ségrégation sociale des élèves. Pour éviter cette aspiration des familles les plus privilégiées en Ille-et-Vilaine à cet « entre soi » du privé, l’une des propositions énoncées (Merle, 2012) consisterait à ce que l’État incite les établissements à recruter des profils sociaux moins favorisés par l’octroi d’une dotation plus conséquente.
Figure 2 : Indices de position sociale des collèges de Rennes en 2022
En vert apparaissent les collèges rennais dont les IPS sont supérieurs à la moyenne, tandis qu’en orange et d’autant plus fortement en rouge sont représentés les établissements accueillant les élèves les moins favorisés dont les IPS sont inférieurs à la situation moyenne.
La carte scolaire, un outil pour contourner la ségrégation spatiale ?
5L’enjeu est ici pluriel. Il s’agit de favoriser la mixité sociale en limitant les stratégies de contournement de certains collèges de la part de parents souvent dotés en ressources économiques et sociales tout en encourageant la mobilité géographique d’enfants ancrés dans leur quartier de résidence et qui n’entrevoient pas la possibilité d’être scolarisés ailleurs. La réflexion porte aussi sur les capacités d’accueil d’établissements secondaires qui ne sont pas prévus initialement pour héberger autant de collégiens et collégiennes et arrivent parfois à saturation. Ainsi, dans la refonte proposée pour 2024, le collège Les Chalais devra accueillir plusieurs dizaines d’élèves supplémentaires sans voir par ailleurs son IPS global rehaussé ce qui annonce des difficultés supplémentaires dans la gestion et l’accompagnement des adolescents.
Figure 3 : Indices de position sociale des écoles et des collèges publics à Rennes en 2022
6Lors de la précédente refonte de la carte scolaire en 2018 un secteur multi-collèges a été élaboré regroupant 3 établissements plus ou moins convoités (et par la même en fusionnant deux collèges)1 dans l’objectif de favoriser la mixité sociale. Toutefois, cette expérience n’a pas permis d’accroitre l’attractivité du collège le plus populaire car la stratégie d’inscrire son enfant dans un collège à l’IPS élevé est bien plus adoptée parmi les familles dotées socialement alors que dans les milieux populaires les familles privilégient davantage la proximité géographique. C’est pourquoi, la nouvelle restructuration prévoit désormais la relocalisation de cet établissement pour 2029. Ce collège REP (Réseau d’éducation prioritaire)2 fermerait ainsi ses portes et un nouveau collège dans le quartier Beauregard le remplacerait. L’intention du département d’Ille-et-Vilaine vise à suivre le modèle impulsé par le département de Haute-Garonne qui a fermé deux collèges dans le quartier du Mirail à Toulouse au motif qu’ils étaient trop ségrégés. Les flux d’élèves en fonction de leur origine sociale attestent qu’à Rennes comme ailleurs l’auto-régulation ne fonctionne pas (Heurdier, 2017). Le graphique (figure 4) ci-dessous atteste de cela puisque l’on constate qu’une majorité d’élèves scolarisés dans une école à l’IPS moyen « très faible » poursuivront leurs études dans un collège du même indice. Certes, une certaine mixité reste visible et recherchée par les politiques publiques mais celle-ci doit être pensée au plus près des besoins exprimés par les familles.
Figure 4 : La mixité scolaire de l’école élémentaire au collège à Rennes
7Les parents les plus favorisés privilégient des collèges réputés et anticipent via certaines options (langue vivante 2, section internationale, etc.) l’orientation à venir au lycée et même au-delà. Ceux des milieux populaires privilégient le lien au quartier et la proximité pour des raisons pratiques de coût (transport, cantine etc.), mais aussi du fait d’une violence symbolique trop forte liée à cette mixité sociale. C’est pourquoi, contraindre les uns et les autres à privilégier le collège à proximité ou au contraire à quitter son quartier d’origine n’a pas apporté de résultats concluants en termes de réussite scolaire jusqu’à présent.
8En définitive, penser que la carte scolaire peut réduire les inégalités entre les élèves est illusoire si cela ne s’accompagne pas d’autres mesures favorisant la réussite scolaire du plus grand nombre. Inciter les équipes enseignantes et éducatives à s’investir durablement dans les établissements les moins favorisés est indispensable. Cela passe aussi par la mise en place d’un soutien plus important aux familles et aux élèves au sein même de ces quartiers. Les mesures nationales expérimentées dans les REP, et en particulier les classes à faible effectif, sont de forts leviers d’accompagnement à la lutte contre les inégalités scolaires. Ne devraient-elles pas être développées et pérennisées ?
Notes
1 Le collège Rosa Parks, dont l’IPS est bas, est le résultat d’une fusion initiale de deux collèges. Il fait partie du secteur multi-collèges créé auquel il faut ajouter les établissements Émile Zola et Anne de Bretagne qui ont des IPS élevés, laissant ainsi en théorie aux parents la possibilité d’inscrire leur enfant dans le collège de leur choix.
2 Les établissements REP et REP+ se situent dans des quartiers concentrant des difficultés sociales (ségrégation, chômage, isolement, etc.) et pour lesquels des soutiens humains et financiers sont apportés aux équipes pédagogiques et aux élèves dont notamment des classes avec des effectifs moindres. Les réseaux d'éducation prioritaire REP et REP+.
Pour citer ce document
Alexandra Filhon, 2025 : « Une nouvelle carte scolaire en 2024 : une mesure en faveur de la mixité sociale ? », in B. Bisson, B. Mericskay, O. David, A. Lepetit & V. Deborde Atlas social de la métropole rennaise [En ligne], eISSN : 2999-2923, mis à jour le : 10/01/2025, URL : https://atlas-social-de-rennes.fr:443/index.php?id=1282, DOI : https://doi.org/10.48649/asdr.1282.
Bibliographie
Heurdier Lydie, 2017, « Des collèges ZEP face à une offre scolaire plurielle et à une régulation administrative aléatoire », Sociologie, Vol.8(2), p.181-198 https://doi.org/10.3917/socio.082.0181
Merle Pierre, 2012, « Carte scolaire et ségrégation sociale des établissements. Une analyse monographique des collèges rennais », Espaces et sociétés, n°151(3), p.103-121 https://doi.org/10.3917/esp.151.0103
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La carte scolaire, instrument de répartition territoriale des élèves dans le secondaire fait l’objet de controverses régulières. Pour certain·es, elle ne fait que renforcer les inégalités sociales et la ségrégation spatiale tandis que d’autres y voient un levier pour favoriser la mixité sociale. Cette planche propose une analyse de la refonte en cours de la carte scolaire de la ville de Rennes par le prisme de l’analyse des indices de position sociale des écoles et des collèges publics.
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