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De nombreux objets au design épuré (carte postale, affiche, mug, tee-shirt) et incarnant un lieu ou un territoire, sont vendus en masse dans de nombreuses villes ou lieux touristiques. La dimension identitaire de l’objet vendu suscite en chacun des affects individuels et collectifs, générant souvent un sentiment d’appartenance aux lieux, villes, régions ou nations. Il s’agit moins ici de parler des souvenirs ramenés de vacances, mais plutôt d’achats identitaires exprimant l’appartenance à un territoire. Certes ces objets visent les touristes, mais ils s’adressent surtout aux habitants (dont les étudiants). L’exemple ci-dessous illustre le cas à Rennes avec un poster à colorier conjuguant plusieurs symboles et composantes identitaires de la ville.
Une identité plurielle sur un seul objet
1En tant que fierté d’appartenance, l’affect est déclencheur d’achats d’objets identitaires tels les magnets sur les réfrigérateurs ou le mug I love NY dont la possession signifie souvent : « je suis allé à New York ». Parmi ces divers objets, certains prennent la forme de carte de la ville comme ce poster à Rennes (figure 1), vendu en boutique ou bien à l’office de tourisme, fabriqué par une entreprise locale nommée Agent Paper.
Figure 1 - Les composantes de l’identité rennaise représentées dans un poster à colorier
Source : © Agent Paper, 2021
2Ce poster est-il une carte ? Les normes cartographiques n’y sont pas toutes présentes (absence de l’échelle) mais on retrouve les points cardinaux et la pancarte d’entrée municipale qui, par sa taille, prend la fonction de titre. La ligne de métro qui structure ce poster vient confirmer cette idée de carte : dévoilant tous les noms des stations, elle est dessinée dans le même sens que dans les divers plans publics officiels de la ville.
3Le poster est composé d’un ensemble plus ou moins spatialisé d’éléments identitaires de Rennes, tels que les habitants seraient susceptibles de les lister. On y retrouve diverses aménités1de la ville, dont les principaux monuments et lieux emblématiques (entourés par des ellipses rouges dans le document) :
- Le parlement de Bretagne est l’élément le plus visible, incarnant ainsi le monument identitaire de la capitale bretonne.
- La modernité urbaine est présente avec le principal lieu culturel nommé Les Champs-Libres.
- Le Thabor, jardin le plus remarquable de la ville, est incarné par son kiosque et une fontaine (qui ressemblent peu au réel mobilier urbain).
- Le fleuve La Vilaine est dessiné à partir du quai de la Prévalaye, haut-lieu de la ville dont les péniches offrent un décorum fréquemment repris en image journalistique afin d’incarner le cadre de vie rennais. Le cours d’eau s’étire ici jusqu’à la station de métro République alors qu’en réalité, il se poursuit bien plus en amont.
4On remarque l’absence de l’hôtel de ville et l’opéra (figure 2). Il s’agit pourtant de deux bâtiments iconiques de la place de la mairie, souvent utilisés dans l’imaginaire urbain local car facilement reconnaissables. La cathédrale (figure 3) qui a comme particularité de ne jamais composer l’image de la ville, ne figure pas non plus dans le document.
Fig.2 : La forme architecturale de l’hôtel de ville du XVIIIe siècle, expression du pouvoir municipal, s’encastre dans celle de l’Opéra à l’architecture classique du XIXe siècle, situé en face. Dans le poster, ce sont finalement les chaises longues de l’événement Transat en Ville qui sont représentées pour incarner la place de la Mairie, centralité de la ville selon les habitants. Fig.3 : Rennes est probablement la seule ville française dont la localisation du principal édifice religieux est méconnu de ses habitants
La localisation par les toponymes les plus connus
5Beaucoup de mots composent cette carte parmi lesquels six toponymes prennent la forme de « plaque de rue » à des endroits correspondant plus ou moins à leur localisation. Elles soutiennent des aménités bien connues de Rennes :
- la route de Lorient pour situer à l’ouest de la ville, le stade de football (non représenté car non-iconique) et son équipe « Rouge et Noir » (le Stade Rennais Football Club),
- la rue « de la Soif » qui s’appelle en réalité la rue Saint-Michel, haut-lieu (Debarbieux, 1995) d’animation urbaine des étudiants avec ses bars et terrasses sur pavés médiévaux,
- La place des Lices et son horloge, emblème territorial (Lussault, 2003) que seuls les rennais connaissent en tant que lieu de rendez-vous (figure 4).
- La place de la Mairie et son événement estival Transat en Ville bien installé à Rennes depuis 2005, qui propose une plage sans sable et un agenda musical sur plus d’un mois.
- La place du Parlement dont la plaque sur le poster est entourée de mobilier urbain (bancs et lampadaires génériques). Un appareil photographique rappelle que les touristes immortalisent ici le symbole historique de la ville.
- La place de Coëtquen dont le nom est méconnu des habitants, chacun la nommant « la place où il y a la tête coupée de la statue dans la fontaine » (figure 5)
Fig. 4 : L’horloge au design banal est un lieu de rendez-vous des habitants. Fig.5 : Comme en témoigne la page Google Images, la place de Coëtquen est irrémédiablement reliée à cette « Tête de muse endormie » du plasticien italien Claudio Parmiggiani. Installée depuis 1993, la tête a régulièrement été volée depuis (en 1999, 2000, 2009, 2012) à tel point que la ville dispose de plusieurs copies en stuc (l’originale était en marbre) prêtes pour la remplacer. Fig.6 : Le renne a été utilisé pour une campagne de promotion de Rennes en 2006 et 2007
Dépasser les lieux pour faire identité
6Par ailleurs, nous constatons que d’autres composantes viennent former ce poster, avec ce que l’on peut appeler « des moments de vie de Rennes » (ellipses oranges), apposés plus ou moins précisément sur la carte. À ceux déjà présentés, ajoutons la galette saucisse2, unique produit gastronomique local, ainsi que Les Transmusicales, principal festival de musique depuis 1978.
7Les ellipses vertes (figure 2) sont des images génériques de ce qu’est une ville. On retrouve des immeubles formant une skyline (sans pouvoir reconnaître la forme d’aucun édifice connu de Rennes, comme la Tour des Horizons qui aurait pu être dessinée par exemple), les transports urbains (vélo, train et avion), ainsi qu’un mobilier urbain standard. Le symbole du pouce en l’air est là pour montrer que Rennes est aussi une ville « connectée » virtuellement.
8La Forêt de Rennes dont la flèche indique qu’on sort de la ville, est l’unique élément périphérique, les symboles urbains étant principalement issus des espaces centraux (Houllier-Guibert, 2009). Enfin, on note la présence en « trophée de chasse » du renne, homophone de la ville mais qui en réalité n’est en rien son totem. Excepté pour une campagne publicitaire en 2006-2007 (figure 6), le renne ne fait pas écho aux rennais. Mais ce choix vient donner un ton léger à ce poster, au même titre que les ballons Happy, le feu d’artifice et les nuages éparpillés sur le dessin. Ces choix visuels orientent ce produit à vendre vers la cible des enfants, notamment pour le possible coloriage en format A1 ou A0.
Une mosaïque identitaire déjà à mettre à jour
9Cette carte de Rennes rassemble donc des emblèmes territoriaux qui ne sont pas strictement monumentaux mais qui reposent aussi sur l’idée de vivre la ville (gastronomie, détails urbains que seuls les habitants identifient). L’habitant se sent concerné par ce qui est dessiné, générant chez lui l’envie d’acheter. Ainsi, le design de cet objet coloriable ainsi que son contenu multiple et ordonné géographiquement, proposent un équilibre entre les monuments connus d’une ville, son mode de vie, ses espaces génériques, ses singularités. L’idée de carte permet d’atténuer l’effet de liste en spatialisant l’ensemble des aménités de Rennes.
10Considérant que l’identité rennaise est mouvante, et qu’un objet consommé peut être mis à jour pour tenir compte des évolutions, un nouveau poster a été produit par la même agence (figure 7). Il vient illustrer l’image populaire de Rennes en proposant davantage d’aménités locales et moins d’éléments génériques.
Figure 7 - Une nouvelle version du poster
Source : © Agent Paper, 2021
11La seconde ligne de métro y apparaît en travaux, à demie-tracée, les logos des deux universités y sont ajoutés ainsi que les récents aménagements urbains (le Mail François Mitterrand inauguré en 2015 et le Centre des Congrès en 2018) au côté des maisons à pans-de-bois du centre-ville, particularisme connu des rennais.
Cette intrication avec l’ancrage local est renforcée par trois composantes gastronomiques : la galette saucisse, le kouign-amann, ainsi que le combiné cidre (brut évidemment) et chouchen permettent de ne pas choisir et surtout de renforcer le caractère breton de la ville, incarné aussi par l’hermine (animal et emblème).
12Enfin, les deux bouts de la nouvelle ligne de métro viennent évoquer deux communes aux alentours de Rennes : Cesson-Sévigné qui accueille une base de sports et de loisirs dont le canoë-kayak est la figure de proue, notamment pour des compétitions d’envergure ; Saint-Jacques-de-la-Lande qui est représentée par l’aéroport régional situé sur son territoire, laissant faussement suggérer que la nouvelle ligne de métro dessert cet équipement.
13Si ces nouvelles composantes urbaines en remplacent d’autres, elles sont surtout plus nombreuses. Reste à savoir si la mise en vente d’un troisième poster, avec une ligne de transport cette fois clairement affirmée, montrera de nouvelles composantes de l’identité rennaise, telle l’architecture moderne et singularisante du bâtiment de la gare, inaugurée en 2019. Toutefois, l’idée est de ne pas offrir un trop plein de symboles rennais, l’équilibre de l’ensemble doit être savamment pensé pour vendre.
Notes
1 Les aménités sont les attributs ou caractéristiques d’un lieu, liés aux sens, aux modes de perception et aux vécus des usagers. Elles se réfèrent à l’agrément, au charme d’un paysage ou d’un lieu, à partir de caractéristiques vécues comme agréables. Au départ naturelles, les aménités sont aussi fabriquées par la société et parfois elles génèrent de la différenciation
2 Lors des matchs de football, des marchés de la ville ou d’autres manifestations populaires, la galette saucisse est vendue en street food, essentiellement dans l’espace brétilien (gentilé d’Ille-et-Vilaine). Ce met est le seul qui ne concerne que l’aire d’attraction rennaise, ce qui lui octroie une place atypique pour les habitants qui par ailleurs, accueillent dans leur mode de vie d'autres produits plus largement bretons
Pour citer ce document
Charles-Édouard Houllier-guibert, 2023 : « Les composantes de l’identité rennaise mises en carte », in B. Bisson, B. Mericskay, O. David, A. Lepetit & V. Deborde Atlas social de la métropole rennaise [En ligne], eISSN : 2999-2923, mis à jour le : 24/10/2023, URL : https://atlas-social-de-rennes.fr:443/index.php?id=884, DOI : https://doi.org/10.48649/asdr.884.
Bibliographie
DEBARBIEUX Bernard, « Le lieu, le territoire et trois figures de rhétorique », Revue L’espace géographique, 1995, 24-2, pp 97-112 - https://doi.org/10.3406/spgeo.1995.3363
HOULLIER-GUIBERT Charles-Édouard , « Quelles limites territoriales pour une promotion métropolitaine ? Le cas de Rennes », Communiquer, 2009, pp 127-144 - ref target=""
HOULLIER-GUIBERT Charles-Édouard , « Quelles limites territoriales pour une promotion métropolitaine ? Le cas de Rennes », Communiquer, 2009, pp 127-144 - https://doi.org/10.4000/communiquer.333
LUSSAULT Michel, « Emblème territorial », in LÉVY Jacques et LUSSAULT Michel, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Belin éditeur, p.305
Mots-clefs
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Résumé
De nombreux objets au design épuré (carte postale, affiche, mug, tee-shirt) et incarnant un lieu ou un territoire, sont vendus en masse dans de nombreuses villes ou lieux touristiques. La dimension identitaire de l’objet vendu suscite en chacun des affects individuels et collectifs, générant souvent un sentiment d’appartenance aux lieux, villes, régions ou nations. Il s’agit moins ici de parler des souvenirs ramenés de vacances, mais plutôt d’achats identitaires exprimant l’appartenance à un territoire. Certes ces objets visent les touristes, mais ils s’adressent surtout aux habitants (dont les étudiants). L’exemple ci-dessous illustre le cas à Rennes avec un poster à colorier conjuguant plusieurs symboles et composantes identitaires de la ville.
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