L’aide sociale à l’enfance dans l’aire urbaine de Rennes : d’importants contrastes territoriaux
par Eugénie Terrier et Juliette Halifax
Table des matières
La géographie rennaise de l’Aide Sociale à l’Enfance montre d’importants contrastes territoriaux en termes de taux de mesures (placements et actions éducatives) entre quartiers urbains et communes périurbaines. La concentration spatiale des familles les plus vulnérables et des services sociaux dans certains quartiers rennais explique une visibilité plus importante des situations de négligence ou de maltraitance par rapport aux territoires périurbains socialement favorisés. Par ailleurs, l’analyse de l’offre sociale montre une forte différenciation spatiale du nombre et du type de places d’accueil pour les enfants confiés entre la ville de Rennes et ses alentours.
Une forte variation territoriale des taux de mesures ASE
1Dans le cadre de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), des mesures de placement ou d’action éducative à domicile peuvent être proposées ou imposées aux familles lorsque la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur, son éducation ou son développement sont en danger. Ces mesures sont mises en œuvre par un dispositif d’établissements et de services habilités (publics et privés) sous l’autorité des conseils départementaux. En 2018, on comptabilise sur l’ensemble des six Centres Départementaux d’Action Sociale (CDAS) situés à Rennes 1 580 décisions de mesures d’aide sociale à l’enfance, composées pour 58 % de mesures de placement et 42 % d’actions éducatives.
Figure 1 - Les mesures de la protection de l'enfance dans les territoires d'action sociale d'Ille-et-Vilaine
2La carte montre une importante variation territoriale du taux de mesures ASE (nombre de jeunes avec une mesure pour 1 000 jeunes âgés de 0 à 19 ans). Alors que ce taux peut atteindre 42 ‰ dans certains quartiers rennais, il est de 14 ‰ dans le centre-ville (moyenne départementale : 23 ‰). On retrouve également d’importantes disparités entre la ville de Rennes et sa périphérie : le taux de mesures ASE est de 31 ‰ pour l’ensemble des CDAS rennais, c’est-à-dire deux fois plus que pour l’ensemble des CDAS de la couronne périurbaine1 de Rennes (15 ‰).
Des différences spatiales à mettre en lien avec les contrastes sociaux et la répartition des services
3Les plus forts taux de mesures d’Aide Sociale à l’Enfance observés en milieu urbain s’expliquent principalement par la concentration spatiale de populations présentant un cumul plus important de facteurs de risque (Terrier et Halifax, 2017 ; Clément et al., 2018) combiné avec un repérage accru des situations de négligence et de maltraitance sur ces territoires (Dufour et al., 2015). Le taux de pauvreté s’élève par exemple à 16 % à Rennes en 2015 (jusqu’à 23 % dans un des CDAS rennais), contre 7 % pour l’ensemble des CDAS périurbains. Or, la situation de pauvreté augmente la probabilité d’être en contact avec les services sociaux : les difficultés financières font souvent l’objet d’un premier accompagnement social qui peut ensuite rendre visibles des difficultés parentales. Cette plus forte visibilité sociale s’explique aussi par une plus grande densité de services sociaux, de professionnel.les et de partenariats interinstitutionnels locaux, plus particulièrement au sein des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Le taux d’encadrement en ce qui concerne les équipes des CDAS est par exemple de 111 professionnels pour 100 000 habitants à Rennes contre 54 pour 100 000 habitants au sein des CDAS de la couronne périurbaine rennaise.
Une hétérogénéité de l’offre d’accueil entre Rennes et le reste du département
4L’effet des moyens comme explication des plus forts taux de décisions de mesures reste cependant à nuancer étant donné que l’offre de places d’accueil est plus réduite à Rennes que dans les communes environnantes lorsqu’elle est rapportée au nombre d’enfants confiés sur le territoire (figure 2). Par ailleurs, même si la saturation du dispositif de la protection de l’enfance existe sur l’ensemble du département, son intensité est variable entre les territoires. La gestion du manque de places prend alors des formes particulières selon le type de ressources à proximité : les familles d’accueil résident majoritairement dans les territoires périurbains et ruraux ; à l’inverse, les places en établissement collectif se trouvent essentiellement dans les territoires urbains : 87 % des places au sein des CDAS rennais sont en établissement contre 28 % des places dans les CDAS de la couronne périurbaine.
Figure 2 - Mesures de placement et offre d’accueil à Rennes et ses alentours (au 31/12/2018)
5Bien que les places d’accueil ne soient pas sectorisées, leurs localisations ont des effets sur les demandes et sur les affectations. D’une part, la proximité géographique peut être un facteur pris en compte pour l’attribution des places, soit du fait de l’établissement qui souhaite privilégier cette proximité dans ses critères d’admission, soit à la demande des travailleurs sociaux lorsque l’enfant a besoin que son espace de vie soit préservé (ancrage, lien avec sa famille, son école, son réseau). D’autre part, la proximité relationnelle entre les professionnels de l’ASE et les structures d’hébergement peut également favoriser un placement au sein du territoire du CDAS. La contrainte territoriale s’invite donc fortement lorsqu’il s’agit de choisir le lieu d’accueil pour un enfant. Même si les intervenant.es essaient souvent de privilégier la proximité avec la famille d’origine, parfois au détriment de l’adéquation du type de place d’accueil avec le profil du jeune, l’éloignement géographique peut s’imposer, en particulier dans un contexte de saturation du dispositif.
6Plusieurs questions se posent alors : quels sont les effets de ces contraintes territoriales sur les trajectoires de ces jeunes confiés à l’ASE (Frechon et Robette, 2013) ? Quels sont les vécus et les recompositions des territorialités des jeunes, des familles et des professionnels vis-à-vis de cet éloignement ? Qu’en est-il des jeunes rennais qui se retrouvent à la campagne en familles d’accueil et, vice versa, des jeunes ruraux placés dans les foyers à Rennes ?
Notes
1 Une typologie de l’ensemble des CDAS a été réalisée pour cette recherche à partir de la grille communale de densité de l’Insee 2018. Trois types de CDAS ont été identifiés : les CDAS ruraux, les CDAS urbains et les CDAS mixtes. En ce qui concerne cette dernière catégorie « mixte » plus hétérogène que les deux autres, elle englobe les CDAS périurbains qui regroupent des communes se situant dans la couronne périurbaine de Rennes et trois autres CDAS spécifiques du fait de la co-présence dans leur périmètre d’espaces de faible densité démographique et d’une ville moyenne (Fougères, Vitré, Redon). Dans cette planche de l’atlas, l’analyse concerne plus particulièrement les données relatives aux CDAS situés dans la ville de Rennes et sa couronne périurbaine.
Pour citer ce document
Eugénie Terrier et Juliette Halifax, 2023 : « L’aide sociale à l’enfance dans l’aire urbaine de Rennes : d’importants contrastes territoriaux », in B. Bisson, B. Mericskay, O. David, A. Lepetit & V. Deborde Atlas social de la métropole rennaise [En ligne], eISSN : 2999-2923, mis à jour le : 28/08/2023, URL : https://atlas-social-de-rennes.fr:443/index.php?id=703, DOI : https://doi.org/10.48649/asdr.703.
Bibliographie
Clément Marie-Ève, Gagné Marie-Hélène et Hélie Sonia, « La violence et la maltraitance envers les enfants », dans Gouvernement du Québec, Rapport québécois sur la violence et la santé, 2018, pp.22-54
Dufour Sarah, Lavergne Chantal et Ramos Yuddy, « Relations spatiales entre les caractéristiques des territoires et les taux d’enfants de groupes ethnoculturels signalés à la protection de la jeunesse », Canadian Journal of Public Health / Revue Canadienne de Santé Publique, n°7, 2015, pp. eS21-eS30, https://www.jstor.org/stable/90006059
Frechon Isabelle et Robette Nicolas, « Les trajectoires de prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance de jeunes ayant vécu un placement », Revue française des affaires sociales, nᵒ 1-2 (2013), pp.122-43, https://doi.org/10.3917/rfas.125.0122
Terrier Eugénie et Halifax Juliette, « Approche territoriale de la protection de l’enfance. Quelles spécificités des espaces urbains, ruraux et périurbains ? », Le Sociographe, HS n° 10 « La protection de l’enfance », 2017, 61-83, https://doi.org/10.3917/graph.hs010.0061
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Résumé
La géographie rennaise de l’Aide Sociale à l’Enfance montre d’importants contrastes territoriaux en termes de taux de mesures (placements et actions éducatives) entre quartiers urbains et communes périurbaines. La concentration spatiale des familles les plus vulnérables et des services sociaux dans certains quartiers rennais explique une visibilité plus importante des situations de négligence ou de maltraitance par rapport aux territoires périurbains socialement favorisés. Par ailleurs, l’analyse de l’offre sociale montre une forte différenciation spatiale du nombre et du type de places d’accueil pour les enfants confiés entre la ville de Rennes et ses alentours.
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