planche publiée le 27 juin 2023

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Table des matières

Une très forte densité de clubs de haut niveau autour du Stade Rennais

1Au sein de la stricte Bretagne « administrative », on compte pour la saison 2023/2024 trois clubs évoluant en Ligue 1 (Stade Rennais, Stade Brestois et FC Lorient), deux clubs en Ligue 2 (En Avant de Guingamp et US Concarneau). Dans les régions voisines, il faut compter des clubs à Nantes en Ligue 1, Caen, Angers et Laval en Ligue 2, voire Avranches, Le Mans et Cholet en troisième division. Cette grande densité de clubs professionnels ou semi-professionnels dans l’Ouest de la France (figure 1) indique une forte concurrence spatiale autour de Rennes - au contraire par exemple, du Stade Malherbe Caen qui est quasi sans rival en Basse-Normandie (Helleu et Ravenel, 2021).

Figure 1 - Le Stade Rennais parmi les principaux clubs français évoluant au plus haut niveau au cours des vingt dernières années

Source : Ligue Professionnelle de Football

2Par ailleurs, il faut ajouter à cette proximité géographique, une coprésence systématique des clubs bretons en première division. Depuis sa dernière accession au plus haut niveau en 1993, le Stade Rennais a toujours été accompagné d’un ou plusieurs clubs « voisins » (figure 2). Le leadership parmi les clubs bretons est ainsi très disputé. Lorient, Guingamp et surtout Nantes ont connu par le passé des périodes marquantes au plus haut niveau, la prééminence actuelle du Stade Rennais sur le plan sportif s’avère assez récente.

Figure 2 - Une forte densité des clubs bretons en Ligue 1 au cours des vingt dernières saisons

Source : Ligue Professionnelle de Football

L’aire d’influence du Stade Rennais en question

3En Bretagne, le Stade Rennais est concurrencé à l’ouest par l’En Avant de Guingamp, « club des Côtes-d’Armor » qui oppose une identité « rurale » et une image de « petit poucet » (sous-préfecture de 7 000 habitants) face à la « grande » métropole rennaise. Au sud c’est la proximité du Football Club de Nantes, doté d’un palmarès plus conséquent et avec lequel le Stade Rennais entretient la rivalité la plus vive, qui limite cette influence.

4Ainsi, l’attractivité du Stade Rennais ne semble pouvoir dépasser les frontières du département qu’à la marge et ce, principalement vers l’ouest en épousant les limites du pays gallo. Dans le cadre de son doctorat, Jens Blumrodt a réalisé une enquête en 2010 questionnant la provenance des supporters du Stade Rennais. Parmi les 500 spectateurs interrogés un soir de match, 78 % venaient d’Ille-et-Vilaine (dont 40 % de Rennes Métropole), 11 % des Côtes d’Armor, 2,8 % du Morbihan, 1 % du Finistère, et 6,7 % d’autres départements (0,5 % des enquêtés n’ont pas souhaité donner leur lieu de résidence). Dans un article de la revue en ligne « Les Cahiers du Football » datant de juillet 2020, Mathieu Garnier a exploité la localisation des comptes Twitter abonnés aux comptes des principaux clubs professionnels afin de cartographier la prévalence des clubs soutenus majoritairement. Dans l’Ouest du pays, concernant le Stade Rennais, ce travail confirmerait une zone d’influence circonscrite au pays gallo (figure 3)1.

Figure 3 - Aires d'influence des clubs du Grand Ouest en 2018-2019

Source : d'après Matthieu Garnier, 2020.

La méthodologie employée est décrite dans l'article sus-cité des « Cahiers du football ». La représentation proposée par l'auteur Matthieu Garnier repose sur la spatialisation des abonnés aux comptes Twitter officiels des clubs professionnels présents en Ligue 1 et Ligue 2 lors de la saison 2018-2019

5Certes la proximité du stade est un facteur important dans la construction d’une identité liée au club, mais le supporterisme s’exprime aussi « en creux » par l’opposition aux adversaires. Un des chants les plus emblématiques des groupes de supporters s’intitule « Galette saucisse je t’aime » (les paroles sont en annexe) et mentionne les adversaires privilégiés des rennais. Les rivaux seraient donc d’abord à Nantes, Caen, Laval ou Le Mans, épargnant ainsi les voisins de la région Bretagne (il faut souligner que la galette saucisse, spécialité culinaire locale, dégustée notamment aux abords du stade les jours de match, est un marqueur de cette inscription territoriale dans le pays gallo).

Jour de derby Rennes-Nantes au Roazhon Park (9 octobre 2022)

Photo : Brieuc Bisson - CC BY-NC-ND 4.0

À l’occasion du derby Rennes-Nantes : un grand tifo est déployé par le Roazhon Celtic Kop et de nombreux drapeaux bretons sont agités dans les travées et sur la pelouse (que ce soit l’historique Kroaz du avec la croix noire sur fond blanc ou le Gwenn ha du avec les bandes noires et blanches et les mouchetures d’hermine)

Une identité bretonne « bretonnante » construite a posteriori

6Ces dernières années, le club a réalisé un important travail marketing afin d’articuler son image avec l’identité de la Bretagne « bretonnante ». L’objectif s’avère plutôt paradoxal sachant que Rennes est située en « Haute-Bretagne », pays de langue gallèse. En 2015 suite à une consultation populaire, le stade « de la Route de Lorient » a été renommé « Roazhon Park », nom associant le toponyme Rennes en langue bretonne et le terme Park, régulièrement utilisé pour définir des stades au Royaume-Uni2.
Toujours dans le registre symbolique, depuis 2009, l’hymne de la Bretagne, le « Bro gozh ma zadoù », est diffusé systématiquement dans le stade avant le coup d’envoi3 (accompagné des paroles projetées sur les grands écrans). Il s’agit du seul club à diffuser l'hymne dans son stade, au contraire d’autres clubs bretons qui seraient autrement plus légitimes, car situés en « Basse-Bretagne » historiquement bretonnante (Lorient, Brest ou Guingamp). Toutefois, l’hymne est très peu repris par le public du Roazhon Park. Ainsi, l'identité bretonne « bretonnante » du Stade Rennais serait le résultat d’un travail marketing « opportuniste » qui vise à étendre la zone de chalandise du club à l'ensemble de la Bretagne, là où résident des populations sensibles à ces marqueurs identitaires.

7Pourtant, en raison de la spécificité de son territoire footballistique, le Stade Rennais devrait davantage représenter le pays gallo. Or il n’est jamais question du gallo dans la communication du club. Finalement ce qui interroge ici, c’est l’ostentation de l'identité bretonne revendiquée. Ce travail sur l’image régionale du club, fortement développé depuis le début des années 2010, coïncide avec le début de sa domination sportive dans le Grand Ouest. Il vise manifestement à imposer le Stade Rennais comme le club majeur de la Bretagne en associant des résultats sportifs indéniables avec l’accaparement du registre symbolique breton.

8Alors que de vifs débats ont lieu aujourd’hui autour de la conception de l’identité bretonne3, l’exemple du Stade Rennais invite à déconstruire une image et une identité en grande partie issues d'une stratégie marketing.

Brieuc Bisson et Arnaud Lepetit, 2023 : « Le Stade Rennais : le club de la Bretagne ou le club du pays Gallo ? », in B. Bisson, B. Mericskay, O. David, A. Lepetit & V. Deborde Atlas social de la métropole rennaise [En ligne], eISSN : 2999-2923, mis à jour le : 22/07/2023, URL : https://atlas-social-de-rennes.fr:443/index.php?id=646, DOI : https://doi.org/10.48649/asdr.646.